Dans le secret de la Maison de la Reine
A Versailles, le domaine de Trianon continue sa mue pour notre plus grand plaisir. Après le Petit Trianon et les appartements présidentiels du Grand Trianon, c’est au Hameau que vient d’avoir lieu la dernière campagne de restauration. Pour la première fois, dès le 12 mai 2018 (en visite guidée uniquement), le public pourra découvrir l’intérieur de la Maison de la Reine tout juste rénovée.
Le Hameau de la Reine reste l’un des grands objets de fascination de ma petite enfance… A l’époque, cette partie du parc était en entrée libre et nous venions très souvent nous y promener le dimanche. Je me suis toujours demandé ce qu’il y avait « à l’intérieur », et comme il était impossible de jeter un œil, même par les fenêtres, le mystère était total. Les animaux de la ferme, la tour de Marlborough, le temple de l’Amour, les jardinets, le rocher, tout était prétexte à émerveillement. Quel bonheur donc de redécouvrir les lieux aujourd’hui, et surtout de pouvoir enfin passer la porte de certaines maisons du hameau ! Ce sera en effet possible dès le 12 mai 2018, puisque la Maison de la Reine et la Maison du Billard attenante ont été restaurées et remeublées grâce au mécénat de Dior. Profitons-en pour nous replonger dans l’histoire des lieux…
Une nature libre, mais pas trop
A la mort de Louis XV, Marie-Antoinette prend la main sur le parc du petit Trianon et décide de le modeler à son goût. Elle fait alors appel à l’architecte Richard Mique, qui lui présente de nombreuses maquettes en volume (à l’image de celles que l’on connaît aujourd’hui pour les trains miniatures), car la souveraine ne sait pas juger sur plan. Il faut savoir qu’en ce temps là, soit en 1774, le terrain était totalement plat : une fois la reine fixée sur un projet précis, Mique fait donc creuser les dénivellations, les cours et plans d’eau qui subsistent encore actuellement. Il fait planter les premiers arbres à fleurs du parc, lilas et arbres de Judée notamment. Marie-Antoinette voulait un endroit où la végétation soit « libre », un style qui sera plus tard nommé jardin à l’anglaise. Elle ne voulait pas non plus de « fabriques », ces constructions propres aux parcs du XVIIIème siècle. En bref, elle avait envie de prendre l’air dans un cadre champêtre, loin des pesanteurs de la Cour.
Faux village et vrai petit château
Une fois cette première phase achevée, la reine manifeste l’envie de se faire construire un hameau. Etrange idée ? Non point ! La mode berger-bergère était en effet en vogue à la cour de France depuis le XVème siècle, autour de l’idée du roi « bon pasteur conduisant le peuple ». Catherine de Médicis n’avait-elle pas sa laiterie personnelle ? A la veille de la révolution, la mode est toujours d’actualité et de nombreux hauts personnages se font construire des maisons campagnardes, rustiques à l’extérieur et luxueuses à l’intérieur. Marie-Antoinette en visite plusieurs pour nourrir son inspiration, puis demande à Mique de lui en faire une synthèse. Elle sacrifie ainsi à la tendance, tout en s’inscrivant dans le courant intellectuel de la physiocratie, mené par François Quesnay, qui fait du paysan la pierre angulaire de la société. Selon les physiocrates en effet, « toute richesse vient de la terre, la seule classe productive est celle des agriculteurs et il existe des lois naturelles basées sur la liberté et la propriété privée qu'il suffit de respecter pour maintenir un ordre parfait ». Le chantier du hameau, quasi incessant de 1784 à 1789 tant les changements seront nombreux au fil du temps, accouche d’un faux village qui est en fait un vrai petit château privé, avec pièces de réception, antichambres, chambres et communs. Lorsque survient la Révolution, tous les meubles sont vendus mais les bâtiments subissent heureusement assez peu de dégâts. Le lieu s’ouvre au public et se transforme en guinguette, avec moult animations à la clé, comme ce saut en parachute de mille pieds effectué par l’aérostier pionnier André-Jacques Garnerin.
Rockefeller à la rescousse
Sous Napoléon 1er le hameau, très dégradé, est repris en main par la volonté de l’empereur qui veut l’offrir à Joséphine. Las, ce sera finalement sa seconde épouse, Marie-Louise, qui en profitera, même brièvement. Le parc est réunifié et ses petits jardinets supprimés. Les pièces sont restaurées et remeublées, pour en faire une demeure strictement privée, sur l’occupation de laquelle peu de traces écrites subsistent aujourd’hui. Cette configuration (avec retour de la guinguette) va ensuite se maintenir jusqu’aux années 30, malgré quelques petites aménagements architecturaux par ci, par là. En 1923, les lieux sont plus ou moins à l’abandon lorsque survient la donation Rockefeller, qui stipule que le hameau doit être restauré. A partir de 1932, on assiste donc à de nouveaux travaux, sous la houlette de Patrice Bonnet, qui rétablit les jardinets et fait reconstruire l’emblématique escalier hélicoïdal que Napoléon avait souhaité remplacer par un escalier droit.
Une restauration devenue urgente et nécessaire
Aujourd’hui ce n’est plus Rockefeller mais Dior qui a apporté son soutien pour la rénovation que nous découvrons. Impossible de reconstituer les lieux comme au temps de Marie-Antoinette : si l’on dispose d’éléments très précis concernant la décoration de l’époque (les artisans, par peur de ne pas être payés, consignaient absolument toutes leurs prestations avec force détails), les meubles ont hélas été disséminés de par le monde. En revanche, près de 60% du mobilier de l’époque Marie-Louise était au château, et le reste a pu être rapatrié grâce au Mobilier National, au Musée des Arts Décoratifs, aux châteaux de Malmaison et Fontainebleau. La restauration de la Maison de la Reine était devenue d’autant plus nécessaire que son état de vétusté interdisait l’accueil du public. Le programme, engagé depuis 2015, a porté à la fois sur un assainissement des ouvrages et sur une restauration complète des structures maçonnées, des charpentes
et des couvertures. Les sols, menuiseries et peintures ont été repris selon leurs dispositions du XVIIIème siècle ou selon l’aménagement effectué sous le Premier Empire. La réhabilitation du Réchauffoir, bâtiment annexe abritant cuisine et pièces de service (garde-manger, argenterie, dressoir, potager et four à pain) utilisé pour la préparation des repas servis dans la salle à manger de la Maison de la Reine voisine, permet d’évoquer le fonctionnement et la vie du hameau sous l’Ancien Régime. Les dispositions paysagères ont par ailleurs été rétablies comme dans les années trente, conjuguant l’état refait pour Marie-Louise en 1810 et quelques souvenirs des aménagements conçus pour Marie-Antoinette. Enfin, la restauration des décors intérieurs et le remeublement des pièces principales de la Maison de la Reine et de la Maison du Billard, qui lui est accolée, ont une nouvelle fois permis de mettre en lumière les savoir-faire d’excellence des artisans d’art français. A deux cents ans d’écart, les lieux retrouvent aujourd’hui leur raffinement et l’opposition souhaitée par les souveraines entre des dehors champêtres et des intérieurs raffinés. Maçons, menuisiers, charpentiers, chaumiers, électriciens, chauffagistes, peintres, jardiniers,… : de nombreux corps de métiers ont contribué à cette rénovation tandis que des ébénistes, soyeux, passementiers, tapissiers, restaurateurs de textiles anciens, peaussiers, bronziers, sculpteurs sur bois, doreurs, recréaient la magie des décors historiques du hameau.
Accès au domaine de Trianon : infos sur le site du château de Versailles
Visites guidées de la Maison de la Reine (pas de visite en accès libre) : à partir du 12 mai 2018, information et réservation (obligatoire) par téléphone au 01 30 83 78 00.
Réservation possible sur le site, ou sur place dans le jour-même dans la limite des places disponible (départ des visites à l’entrée du Petit Trianon, chaque jour à 14h45).
Tarif 10€ (en plus du droit d’entrée). Durée de la visite : 1h30.